CODES
INCONNUS
Es-tu
passé directement du magnétophone à l'ordinateur,
ou bien as-tu accumulé d'autre matériel entre-temps
?
Je crois que j'ai commencé par m'acheter un échantillonneur
- pour pouvoir poursuivre plus facilement les expérimentations
que j'avais faites sur bande. Mais très vite, j'ai acheté
mon premier Powerbook, et depuis je n'utilise plus que les ordinateurs
portables. J'ai très vite été intéressé
par la manière dont je pouvais travailler avec l'appareil
lui-même. L'ordinateur n'est pour moi qu'un outil, mais un
outil qui possède sa propre logique, c'est un médium
numérique, où tout n'est composé que de données.
Je n'ai jamais cherché à dissimuler le fait que j'utilisais
l'ordinateur, au contraire, je veux que l'on puisse voir clairement
que je l'utilise, pour faire des choses qui ne sont possibles que
grâce à lui. Mon intention a toujours été
l'open source : le fait d'être ouvert à la spécificité
de l'instrument avec lequel tu travailles. Aujourd'hui, tu peux
utiliser l'ordinateur comme un sampler, ou même pour réaliser
des compositions classiques. Mais cela n'a jamais été
mon but. J'ai toujours cherché à ce que le médium
que j'utilise dans mon travail soit au centre de ce travail, qu'il
en soit l'objet, le thème.
Que t'inspirent les récents développements de la technologie,
en particulier de l'informatique musicale, qui permettent aujourd'hui
à chacun de faire de la musique ou de la vidéo chez
lui ?
Je trouve ça super, le fait que la technologie soit devenu
si simple d'utilisation pour chacun, ou presque
A l'heure
actuelle, chaque possesseur d'ordinateur est plus ou moins en mesure
de réaliser une production quasi professionnelle, avec de
moins en moins de matériel - pas de studio de mastering,
pas de prises de son externes. Moi-même, avec ce que j'ai
sur moi au moment où je te parle, je peux faire presque tout
ce que je veux
Je trouve que c'est une bonne chose, cela ne
me fait pas peur, et je ne partage pas l'avis de nombre de mélomanes
qui redoutent le trop-plein. Il est clair qu'il y a aujourd'hui
tellement de choses qu'on est obligé d'en laisser certaines
de côté, mais où est le problème ? De
même, je trouve positif le fait que des gens qui, comme moi,
n'ont aucune formation musicale puissent se mettre à faire
de la musique.
Cela ne remet-il pas en question la conception de l'artiste créateur
? C'est comme si, il y a cinq cents ans, on avait pu apprendre la
technique de la fresque en quelques heures
D'accord, il faut faire la différence. Il existe une foule
de logiciels, qui peuvent donner rapidement une impression gratifiante.
C'est d'ailleurs un argument de ventes pour les fabricants de ces
programmes - comme s'il te suffisait de l'ouvrir pour déjà
tenir ton premier hit. Mais je crois que plus tu te confrontes à
l'ordinateur, plus tu t'aperçois que ces logiciels ne peuvent
produire qu'un certain type de musique : tu ne peux pas vraiment
dire que c'est ton uvre, que c'est toi qui l'a réalisée.
Si on travaille de manière sérieuse, on dépasse
vite cette euphorie du premier moment. C'est justement là-dessus
qu'il faut insister, pour pouvoir être sûr que ce qu'on
a fait correspond à ce qu'on voulait faire, et non à
ce que l'ordinateur nous a poussé à faire. Evidemment,
il n'est pas toujours facile de trouver la voie. Mais je crois que
celui qui a vraiment de l'ambition, qui s'intéresse réellement
à la musique, connaît ce point où il cesse d'être
lui-même. Il sait ce que chacun des cinq ou six programmes
qu'il possède est capable de produire. Comme à l'époque
où les musiciens possédaient plusieurs synthétiseurs,
par exemple, en sachant que tels sons de telle machine étaient
bons : on se demandait pourquoi ils avaient genre dix synthétiseurs
différents, mais c'est que chacun avait un rôle bien
spécifique. Aujourd'hui, c'est la même chose, à
moins de n'utiliser que des programmes qui ne prétendent
à rien, qui n'essaient pas d'imposer leur identité.
Mais là, de toute façon, tu te retrouves finalement
toujours confronté au même problème : savoir
ce que tu veux. C'est l'éternelle question.
A ce sujet, que cherches-tu ? Comment décrirais-tu ta démarche
artistique ?
Ce qui m'intéresse, en fait, ce sont les codes, les formules
cryptées. La manière dont nous utilisons notre créativité,
et la manière dont nous essayons de nous expliquer à
nous-mêmes les raisons de notre présence au monde :
car nous ne faisons rien d'autre que créer sans cesse de
nouveaux modèles, des structures logiques - dont les systèmes
de codage et l'ordinateur font partie. Aujourd'hui, nous travaillons
quotidiennement par le biais de codes. Les téléphones
portables, les fax, les e-mails, ne sont déjà, en
fin de compte, que des codages ; leur potentiel créatif a
beau être énorme, ce ne sont que des systèmes
logiques. Nous avons toujours besoins de tels schémas d'explication
Dans ma musique comme dans mon travail visuel, je ne fais rien d'autre,
la plupart du temps, que questionner ces codages. J'essaie d'interroger
l'idée de créativité : pourquoi éprouvons-nous
un tel désir d'exprimer certaines choses, d'où cela
vient-il ? Dans ce travail, le rôle de la structure logique
est important, mais celui de l'erreur, de l'accident, l'est tout
autant - en tant qu'ils expriment des choses irrationnelles qui
vont dans un sens radicalement opposé. Cette polarité
entre la logique et la pure illogique me passionne, en fait, et
c'est suivant ce principe que je travaille mes morceaux.
Précisément, comment composes-tu ? Quelle place laisses-tu
dans ta musique à l'improvisation, à l'accident ?
Ma manière de procéder obéit à plusieurs
idées. Parfois, il y a un parti pris nettement graphique,
où je travaille certaines idées d'une manière
très conceptuelle, en essayant de les appliquer au domaine
sonore. Il y a aussi beaucoup d'expérimentation, comme en
témoigne ma pièce Telefunken (un CD dont les sons
- des données audio - peuvent produire des signaux optiques
sur l'écran de télévision) : je m'intéresse
beaucoup à ce moment clé à partir duquel il
devient possible de visualiser le son, et à la manière
d'intervenir là-dessus, aussi j'explore les possibilités
de traduire le son en vidéo.
Parfois, ce genre d'expérimentations m'occupe de manière
si intense que j'en viens à établir une logique, une
sorte de structure, de standardisation dans la manière de
moduler les éléments. Au début, il y a donc
une expérimentation que, dans un deuxième temps, j'essaie
généralement d'intégrer à une structure
logique... qu'une fois élaborée, je peux recommencer
à détruire, en essayant d'y introduire des éléments
irrationnels. C'est ce que je fais par exemple avec les structures
rythmiques qu'il m'arrive d'échafauder, en essayant de les
casser lorsqu'elles me semblent trop classiques. Ou bien lorsque
je pousse l'ordinateur au bout de ses capacités, pour voir
ce qui se passe quand tout pète : je l'enregistre et essaie
ensuite de l'utiliser. J'utilise beaucoup de sources digitales -
des sons de modems, mais surtout des sons internes générés
par l'ordinateur, par certains programmes -- et des choses plus
acoustiques, des bruits produits par certains appareils d'écoute
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