Animal Collective
Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished / Danse Manatee (Fat Cat)

Il est vrai qu'il était sans doute album plus original à chroniquer. Avec tout le buzz observé ces derniers mois autour de ce groupe de Brooklyn, ce n'est sans doute pas cette chronique qui viendra influer sur l'opinion des quelques internautes qui tomberont dessus. Par contre, si on a beaucoup lu sur les influences obsessionnelles (forcément) que trimballe la musique du groupe, on a beaucoup moins parlé de sa plus spectaculaire réussite, celle qui consiste à susciter chez l'auditeur le besoin presque irrépressible de replonger dans quelques pierres angulaires de l'histoire qu'elle invoque : Syd Barrett (ici, peut être la référence la plus évidente), Love, Can, Sun City Girls, Amon Duül, Bowie…. , certains ont même pu évoquer Fennesz à propos de son dernier album en date sur le label Paw Tracks. Mais peu importe, si l'on choisit d'introduire de la sorte cette belle découverte qu'est pour nous Animal Collective, ce n'est en aucun cas dans le but d'ausculter son talent ni son originalité - réelle et indiscutable - mais au contraire pour leur rendre justice. Formé en 2000 par le guitariste Avey Tare et le batteur Panda Bear, Animal Collective s'est rapidement doté de deux autres membres, Geologist (aka Brian Weitz) puis Deaken, et possède déjà une discographie conséquente et quasi tentaculaire si on inclut les échappées belles de Avey Tare ainsi que le projet Campfire Songs. On comprendra vite que ce " collectif " fonctionne en géométrie variable d'ailleurs Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished publié il y a trois ans sur leur label Animal et aujourd'hui réédité par le label anglais Fat Cat n'inclut que Tare et Panda Bear, sans doute le noyau dur non-officiel.

Avant toute chose, il faut savoir que le son sur Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished, où toutes les basses semblent avoir été avalées, est réellement pulvérisé, avouant dès lors des penchants expérimentaux pour les sonorités mal maîtrisées. Basé sur le style guitaristique de Tare et sur la qualité rythmique d'ordre sismique dispensée par Panda Bear, cet album offre une incroyable diversité de mouvements soniques et mélodiques concentrés autour de sublimes lignes de piano et d'électroniques en tous genres. Des stridences synthétiques lancinantes - associées à une fréquence aiguë qui vrille les tympans - du morceau d'ouverture, à la fausse candeur et la folie rentrée de celui qui clôt l'album, vous aurez traversés un pan de l'univers de ces charmants fous furieux. Entre temps, vous aurez même découverts le divin Chocolate Girl, morceau à la structure mélodique fragile mais subtilement abstraite où tout est immédiatement mémorisable et obsédant. A vrai dire, l'impression laissée est considérable ; la musique au bord du précipice de ce Spirit… tutoie littéralement le ciel !

Danse Manatee s'inscrit plus dans le sillage de Here Comes The Indian. Mais, chronologiquement, il a été réalisé avant et on dira donc qu'il laisse entrevoir les fatras délirants et dévastés de ce dernier. Certes moins direct, plus complexe, il inclut l'intervention de Brian Weitz (aka Geologist) et traduit un procédé créatif qui repose entièrement sur une alimentation à l'énergie "animale" (purement humaine et sonnant presque live!). On y entend aussi bien des assemblages bruitistes que des paysages sonores abrasifs à l'instrumentation perfide où le côté enfantin de certaines mélodies est contrebalancé par des traitements électroniques heurtés, des voix détournées et trafiquées et l'apparition de bourdonnements acoustiques. Mais toutes ces nouvelles turbulences n'en oublient jamais d'être exclusivement non-conformistes et fraîches. D'ailleurs, alors que nous étions restés sur une impression médiocre concernant Here Comes The Indian, l'écoute de ce second disque introduit sérieusement le doute dans nos certitudes (un album de plus écouté trop rapidement ?). Cette passionnante collection suggère l'idée de s'y intéresser de nouveau au plus vite, ainsi qu'à Campfire Songs (Catsup Plate Records) et au split 12'' de Tare partagé avec David Grubbs à paraître sur Fat Cat. Par contre, loin d'apporter des réponses, elle épaissit le mystère… Qui sont réellement ces phénomènes qui composent ce drôle de " collectif animal " ? D' authentiques garants d'un mantra de la pop song décalée ou bien de protéiformes et absolus génies en devenir ? Peut être leurs prochaines tribulations permettront-elles d'y répondre ? Rien n'est moins certain…

(Frédéric Foreau)

http://www.fat-cat.co.uk/