circus maximus
Lux Nigra

Dissidences Berlinoises



Moins connu que Morr Music ou City Centre Offices, le label Lux Nigra est une autre curiosité du paysage musical berlinois. Peter Gebert, son fondateur, fait la lumière sur ce petit label à la productivité croissante, ses multiples influences musicales et ses artistes.


Berlin

Pour beaucoup d'amateurs de musique électronique, Berlin reste la ville de labels comme Tresor et Hardwax. Pourtant ces dernières années si la production techno n'a pas cessé de croître, de nouveaux venus ont prouvé qu'il était possible de développer des alternatives électroniques aux formats moins binaires. L'an dernier sortait une compilation inventaire regroupant quelques unes de ces initiatives au travers de morceaux publiés par des labels tels que A.d.s.r, City Centre Offices, Hey, Morr Music, Din et Lux Nigra. "Sans que l'on travaille tous dans la même direction, ou que l'on s'apprécie, car nous sommes très nombreux [...], j'ai l'impression que quelque chose unit les artistes berlinois [...] On s'intéresse aux productions des autres, et on se donne des coups de main, explique Gebert du label Lux Nigra, Berlin est un endroit fantastique pour tout artiste, car la vie y est relativement peu coûteuse, et qu'il y a des clubs qui facilitent la communication des gens et la promotion des projets artistiques. Avant que le mur ne tombe, Berlin-ouest attirait un grand nombres de gens créatifs souhaitant se démarquer du mode de vie de l'Allemagne de l'ouest. L'avancée capitaliste tend à menacer l'état des choses, mais je trouve que la vie ici reste bien plus facile que dans beaucoup d'autres villes allemandes".

Biophilia Allstars
"En 1996, j'ai créé avec une poignée d'amis une mailing list sur internet. Nous étions tous fans du travail de Martin Damm (alias Biochip c.), mais avons décidé d'y aborder des thémes bien plus larges. Sans ouvrir la liste au public, nous y avons convié des gens susceptibles d'être intéressés [...] Début 98, nous comptions trente membres dont la plupart étaient musiciens [...] Il m'a semblé amusant de leur demander de soumettre des morceaux que nous publierions sur CD-R. Mais lorsque les travaux me parvinrent, il me parut évident que le niveau général était trop élevé pour que ce disque reste confidentiel, et je décidai de les compiler en un véritable premier disque. En octobre 1998, sortait donc le double album "Biophilia Allstars", qui contient 18 titres des membres de la liste, c'est la première sortie du label. Puis Arovane et Pole nous témoignèrent leur soutien en ayant l'obligeance de participer à un 12" de remixes qui nous permit d'accéder à une plus grande notoriété. Le label était lancé." La poignée d'artistes présents sur ce disque contient entre autres Uwe Zahn (d'Arovane, sous le pseudonyme de Nedjev) , Thaddi Herrmann, Kick Snare Kick Snare, Society Suckers, Multipara (pseudo de Gebert) , No Movement No Sound No Memories (projet de Herrmann et Michael Zorn). Ce premier disque pose les très larges bases musicales de Lux Nigra : entre electronica mélodique, techno à la Basic Channel et réminiscences hardcore . Les productions qui suivront vont évoluer à l'intérieur de ce triangle musical instable.

Eclectisme, influences et esthétique
"Le propos de Lux Nigra n'est pas d'être fidèle à un style musical. Ce qui me plaît, c'est de proposer une variété de sensibilités ; développer un label en suivant une spécificité esthétique m'ennuierait rapidement. J'ai un faible pour les musiques énergiques aux rythmes soutenus et complexes [...] Mais j'apprécie également un large éventail de formes, de concepts et de traditions musicales." Lorsqu'on l'interroge sur les musiques qui l'ont marquées, Gebert répond de façon méthodique. ""Alles ist gut" de DAF, "Six Pianos" de Steve Reich, "+/-" de Ryoji Ikeda, la production de Martin Damm entre 1992 et 94 parce que tout ceci était différent de ce que j'avais écouté avant, et que mon enthousiasme pour ces travaux est venu instantanément ; alors que les oeuvres de Bach, Charlie Parker, Anton Webern et Conlon Nancarrow ne m'ont pas séduites à la première écoute, mais elles me sont apparues essentielles avec le temps."
S'il est difficile de catégoriser les productions musicales de Lux Nigra, l'attention particulière apportée à l'esthétique des pochettes, fonctionnant en parfaite adéquation avec leur contenu, joue un rôle particulier . Des Pikachu transfigurés de la pochette de "Pocket Monster mixes" à l'austérité du visuel de la compilation "Karl Marx Stadt", chaque choix a un sens. "Ma fascination pour le Japon et la Corée est probablement l'influence la plus évidente sur l'esthétique de Lux Nigra. Je suis également attiré par les arts visuels et la photographie, c'est pourquoi les diverses personnes qui s'occupent du design de LN et moi faisons des efforts particuliers sur les pochettes des disques. Cela tient aussi à une certaine "philosophie". Lorsque l'on sort des productions très différentes les unes des autres, il est important de leur donner un visuel spécifique fonctionnant comme un contexte."

Zorn, Biochip c. & co.
En une douzaine de sorties, Lux Nigra a publié les travaux d'une poignée d'artistes dont les plus singuliers sont Frederik Schikowski et son Yamaha Portasound à l'aide duquel il repousse les limites de la chanson électronique kitsch, Karl Max Stadt, collectif de berlinois de l'est qui a digéré la techno hardcore en une électro bien charpentée, et les deux seuls artistes à avoir sorti un album sur LN, Zorn et Biochip c..
Michael Zorn compose une électronica géométrique conjugant des influences de la techno de Detroit à une approche plus mélodique. Quant à Biochip c., c'est le projet de Martin Damm, routier de l'éléctronique à l'immense discographie, il a produit il y a quelques mois "2001", un album qu'on peut qualifier de post-électro. Les 17 morceaux de ce disque transposent une esthétique musicale old school dans une immédiateté technologique probante. Autre projet, celui de Gebert lui-même, Multipara, dont les apparitions sont assez rares. "Ces dernières années j'ai travaillé de façon assez basique, avec un ordinateur mais sans séquenceur [...] C'est un mode de composition qui prend beaucoup de temps et oblige à prendre des notes. Vu le temps qu'il m'a fallu pour composer mes morceaux, je me limite uniquement aux "commandes", aux remixes ou aux invitations à des compilations. Les travaux de remixes sont amusant car ils me donnent l'occasion d'élargir mon horizon musical en travaillant avec les sons de quelqu'un d'autre et en essayant de se conformer à ses attentes."

Malgré la croissance rapide de Lux Nigra, la passion de Gebert reste encore un loisir. "Chaque sortie est tirée à 900 exemplaires, ce qui est trop peu pour que le label soit rentable [...] Je suis linguiste, et je fais partie d'un groupe de recherche universitaire, ce qui me permet de payer mes factures. A l'heure actuelle, le label mobilise toute mon énergie. Chaque euro que je gagne est réinvesti dans Lux Nigra." De nouvelles sorties sont prévues pour la fin de l'année, et Lux Nigra sera de passage en France à la mi-janvier 2002.

(Christophe Taupin)

Discographie sélective
Various "No Movement No Sound No Memories Removed" 12"
Frederik Schikowski "Mein Kleines Pony" 10"
Various "Pocket monster Mixes" 12"
Zorn "Towerpark" 12"
Zorn "The City's Collapsing (But Not Tonight) CD/LP
Biochip c. "2001" CD
Various "Karl Max Stadt" 12"

A sortir

Biochip c. "Sunblocking" 12"
Rockin' Pony "Hello" 12"




www.luxnigra.de