circus maximus
Dysfonctionnement et musique électronique

Faux mouvements et beaux gestes

J'ai été invité à écrire cet article par Patrice Joly de la galerie nantaise zoogalerie pour le magazine gratuit 01. Je n'ai jamais eu l'occasion de vérifier s'il a ou non été publié puisqu'on ne m'a jamais fait parvenir aucun exemplaire du gratuit. On ne m'a d'ailleurs jamais rémunéré ni recontacté. (Christophe Taupin)
___

Depuis Kraftwerk et son concept d'homme-machine, les musiques électroniques non-académiques ont évolué à contre-pied de cette image froide et ironique de la perfection. Le fantasme le plus créatif de ces dernières années consiste pour les artistes à rendre leurs machines plus humaines, et à les pousser dans leurs derniers retranchements jusqu'à ce qu'elles rivalisent d'humanité avec leur créateur, et, que comme lui, elles commettent des erreurs.

SABOTAGE
Au début des années 90, Frantz Metzger, Sebastian Oschatz et Markus Popp adaptent au medium du moment, le disque compact, les expériences des Christian Marclay et autre Boyd Rice qui martyrisaient autrefois le vinyl. Sous le nom d'Oval, le trio "prépare" des CDs en en altérant certaines zones avec de l'adhésif ou de la peinture par exemple, afin qu'à la lecture se produise un dysfonctionnement. Les accidents obtenus sont ensuite organisés en rythmes et mélodies. Au fil des albums, Oval devient le projet solo de Popp qui abandonne le sabotage physique au profit de l'élaboration de programmes informatiques déconstruisant les morceaux des CDs ingérés par sa machine. Oval travaille depuis plusieurs années sur un logiciel nommé "Oval Process" qui permettrait à quiconque de décomposer/recomposer de la musique digitale.
Le hasard n'est pas étranger au projet de Popp et ses amis - c'est à l'écoute d'un CD défectueux que le trio a pris l'initiative d'explorer cette direction musicale - tout comme il est l'un des ingrédients essentiels du travail du duo Alejandra Salinas et Aeron Bergman du label Lucky Kitchen.

"PARFAITE IMPERFECTION"
En effet, de nombreux événements sonores volontairement incontrôlés rentrent en compte dans l'univers musical parfaitement imparfait du couple Bergman/Salinas. "Nous enregistrons tout ce qui nous entoure et ce qui nous échappe [...] Dès le départ, la musique électronique est apparue comme une imitation imparfaite des sons produits par les instruments traditionnels [...] expliquent-ils. La musique concrète a utilisé l'enregistrement sur bandes magnétiques afin de mettre en évidence ces "erreurs", en faisant la part belle aux coupures, aux accidents [...] En fait, le lien entre Milton Babbitt (pionnier américain de la musique électronique), John Cage, Mego et Lucky Kitchen est l'élimination du "parfait" au profit de l'élargissement du concept de composition "musicale".
Le travail du duo élargit ce cadre au point de le faire disparaitre. Sa musique électronique très humaine est à la fois biographique, narrative et environnementale. Sandra et Aeron y parlent de leur vie, de leurs amis, des lieux qu'ils traversent en conjugant compositions électroniques pures, tranches de vie sonores ; fusionnant les notions de sujet et d'objet, de fond et de forme. Les sons résiduels, la mauvaise qualité d'enregistrement et les silences impromptus y sont tout aussi importants que les conversations ou les ambiances enregistrées. "Nous banissons également la notion d'impartialité, et nous sommes toujours présents dans nos enregistrements, que nous parlions ou non."
Aux antipodes de cette vision très conceptuelle de l'erreur, et bien plus à l'est, le label viennois Mego a, depuis le milieu des années 90, révolutionné la musique électronique composée par ordinateur.

LE "GLITCH"
Mego n'est certainement pas étranger à deux termes qui ont marqué les esprits et la musique ces derniers temps : "laptop music" et "glitch" ; le second étant généré par le premier. Le "glitch" (accident, problème) est la traduction sonore du dysfonctionnement d'une machine. En matière d'accident le travail le plus pertinent est celui de Peter Rehberg et Ramon Bauer, deux des fondateurs de Mego, édité par le label britannique Touch. "Fasst" et "Ballt" sont les deux premiers albums d'une trilogie dans laquelle Rehberg/Bauer utilisent des accidents sonores comme les matériaux de base de ces deux albums. Des erreurs de manipulation aux problèmes techniques, tous les ratés, qu'ils soient analogiques ou digitaux se trouvent réhabilités en précieuse matière première.
Récemment, Peter Rehberg expliquait qu'il avait composé un morceau et l'avait expédié par internet. Un peu plus tard, il a constaté que le fichier avait subi des modifications lors du transfert. Séduit par la situation, il a bien sûr insisté pour que le morceau dénaturé soit retenu comme sa contribution.


Le "glitch" se décline pour s'étendre à des styles musicaux plus rythmiques, ainsi le label de Francfort Mille Plateaux propose une sélection de morceaux électroniques réunis sous la bannière "Clicks and Cuts", et traite des sonorités à primabord résiduelles avec un formalisme rigoureux pour créer une techno rachitique et bégayante.
Ces récentes déclinaisons du dysfonctionnement en musique électronique combinées aux avancées en matière de logiciels musicaux ouvre la création musicale sur un terrain offrant des possibilités artistiques inouies mais où il sera de plus en plus dur à la critique de s'aventurer.


Http://www.luckykitchen.com
http://www.mego.at
http://www.touch.demon.co.uk
http://www.force-inc.com