circus maximus
Deco

Mecano Digital

Le jeune label parisien Deco allie construction moléculo-musicale et composition digitale. Entre une séance de vulgarisation sur la "laptop music" et quelques digressions sur les nouveaux électroniciens français Lionel Fernandez nous présente sa singulière unité de production.

Deco, la tête sous le capot
"Deco est le label d'Erik Minkkinen et moi-même, dont je m'occupe plus particulièrement et plus quotidiennement", explique le parisien Lionel Fernandez. Sur le plan artistique, la collaboration des deux musiciens d'abord dans Sister Iodine, formation aux racines rock, a aujourd'hui laissé la place à un projet de musique électronique composée essentiellement par ordinateur, Discom. Membre actif de Büro, organisateurs de performances musicales aux formats inédits, et ambassadeurs, ou du moins supporters, français du label autrichien Mego, Fernandez explique que l'"interconnexion de personnel" et les relations étroites entre Büro, Deco et Mego n'altère en rien l'identité musicale du label et de ses artistes dont les pricipaux points communs sont selon lui : "la mauvaise foi, la critique facile, une certaine endurance dans les joutes nocturnes, et un goût prononcé pour la construction de leurs propres outils".
A l'instar de General Magic, duo autrichien pour lequel Fernandez avoue son grand respect, les artistes de Deco cultivent un sens du bricolage qui les amène à mettre systématiquement "la tête sous le capot". Ainsi toutes leurs constructions musicales s'accompagnent d'un travail préalable tout aussi important. Cette étape donne aux sons une souplesse et une "modulabilité" inouïe. Les travaux de Discom et Port Radium ont en commun ce sens de l'infime ; chaque molécule sonore semble être le fruit d'une cohésion de micro-particules peu éloignées de la binarité du langage machine que l'instabilité risque à tout moment de faire retomber à l'état de craquement ou de blip. Cette esthétique trouve un parallèle dans les travaux de Cedric Perrier et Naomi Tamamura, les graphistes qui ont conçu les pochettes des deux premiers disques et le site de deco - bouillonement de petites pièces de Lego dont les quasi-collisions forment d'éphémères combinaisons d'architectures multicolores.

La minute nécessaire de Monsieur Deco
Il est essentiel de garder à l'esprit que l'ordinateur n'est qu'une interface et que la catégorie de "laptop music" est, pour reprendre les propos de Fernandez, "littéralement inefficace et esthétiquement déja bien floue". Pour le spectateur/auditeur moyen, les musiciens derrière leurs ordinateurs portables semblent à priori tous jouer du même instrument ; Fernandez explique brièvement "comment ça marche" : "les softwares de musique électronique les plus passionants sont conçus d'une manière très ouverte comme une gigantesque boîte à outils dans laquelle tu peux piocher toutes sortes d'éléments ou d'instruments qui te permettent de construire toi même tes propres modules (les patches). Ces outils et éléments sont des paramètres (de vitesse, de tempo, de pitch, de hauteur de notes ...), connectables entre eux à l'infini et à toutes sortes de filtres, d'effets que tu peux moduler ou contrôler à ta guise ou sur différents modes aléatoires (si ça te chante) [...] C'est assez compliqué à élaborer, mais cela donne la possibilité d'orienter très personnellement, en fonction de tes intentions esthétiques (ou pas) , les rendus (textures , grains, structures..etc) de ta musique. Bien sûr que ce qui prime n'est que du ressort du talent du musicien et donc de l'ordre de la sensation, de la sensibilité, de l'oreille [...] Aucun module aussi incroyablement complexe ou élaboré n'a jamais produit de lui même une musique digne d'intérêt, ni quand il est entre de mauvaises mains. Il ne s'agit donc pas non plus d'idéaliser ce qui n'est qu'une méthode et un outil de travail.Tu peux bien sur faire des choses miraculeuses à la trompette, aux 4 pistes ou sur sound-edit. Mais la synchronisation des deux procédés, la construction d'un outil qui va personnaliser ton identité, et la mise en forme de ce qui en sort, si tant est qu'elle soit inspirée peut déboucher sur des expériences passionantes."
Ces bases qui sembleront superflues à certains aident à comprendre le lent processus de maturation d'une identité musicale. "C'est un travail de longue haleine, qui est la recherche de son vocabulaire propre, et pour lequel je sens que nous sommes en train d'approcher une "sorte de commencement de quelque chose" d'intéressant", ajoute humblement Fernandez. Cette exigence s'accompagne d'un certain optimisme lorsqu'il aborde la création musicale française et l'émergence de nouveaux labels de musique électronique.

Bouillon brouillon
"Je trouve plutôt stimulant et joyeux qu'une dynamique de productions et d'agissements s'opère un peu partout, même si je pense que la France est musicalement retardée. Fernandez déplore par dessus tout le manque de personnalité et d'originalité de la scène française. "Aucun projet ne transcende vraiment ses influences, que je repère assez rapidement surtout quand elles viennent exagérément de Londres ou de Cologne [...] Etje nous mets absolument dans ce sac là bien conscient de l'état brouillonesque et ébauchoire de nos avancées [...] J'aime bien des trucs de Eric Zahn, de KingQ4 ou de Olivier Lamm, mais je trouve que ce n'est pas encore affiné ou affirmé ; j'aime bien aussi les gens d'Evenement et leur démarche [...] En tout cas, l'univers le plus personnel de toute cette petite scène est chez Gel: qui a indéniablement son truc, un "son" à lui, assez immédiatement identifiable et original, j'aime beaucoup et je suis sûr que ça va être de mieux en mieux". Büro a déjà eu l'occasion de promouvoir ces artistes par le biais de manifestations aux formats non-conventionnels. (cf. article sur "Le Placard")

A formes musicales inédites, formats de performances inédits
Fernandez fait état des contraintes scénographiques inhérentes aux musiques électroniques."Je pense que dans la diffusion live (une personne derrière son computer face au public qui se demande bien ce qu'il fout) il y a beaucoup de choses à faire. On doit trouver des moyens propres en rapport avec ce dispositif et cette musique et qui puisse favoriser la captation de l'attention des gens [...] ça m'intéresse d'essayer de proposer des pratiques d'écoutes un peu différentes, des nouveaux dispositifs (dans Büro on tente ça, avec "le placard" par exemple, qui sont des concerts dans des contextes intimes dont l' écoute se fait aux casques). On a déja expérimenté quelques trucs avec discom , concerts sur des temps très longs (douze heures , vingt quatre heures ..), dans toutes sortes d'endroits autres que la salle de concert, installations, vidéoprojections de nos écrans - ce qui n'est pas mal car ça désacralise assez simplement le mystère de ce que l'on peut bien faire derrière son computer, question que se pose en permanence toute personne assistant à un tel spectacle et qui à la longue a, à mon avis, un impact négatif sur la perception qu'on les gens de la musique, quand ce n'est pas tout simplement l'impression d'assister à une grosse mascarade !!
La question du temps me semble en tout cas à creuser et m'intéresse. Donner au spectateur la possibilité de choisir lui même son temps (d'écoute , de concentration) en deça ou delà des quarante minutes messianiques du temps d'un concert, ça me parait important, et surtout adapté à pas mal des musiques électroniques que j'aime."

Discom devrait justement donner quelques concerts en France en compagnie de Gel: , avant de collaborer sur disque. Un nouvel album du duo Minkkinen/Fernandez récemment enregistré est également prévu prochainement. Enfin, un 12" de PLLAB qui présente une facette plus électro pop de Deco devrait sortir sous peu.

(Christophe Taupin)


Discom Smuglo CD
Port Radium Autopuzzle CD
Discom Automoto CD

http://www.w-deco.com/